Victoire avait su que ces détails seraient intraitables
qu'elle circulerait dans la vie sans réussir à les effacer.
Ils font maintenant partie d'un tatouage de l'âme,
avec bien des souvenirs qu'a frôlés Antonio, mais qu'elle a retenu à temps.
Elle a parlé de LULU, oui, de Knut, bien sûr,
mais c'était moulinetté fin, comme un potage pour nourisson.
Elle a parlé de son propre père, un ébéniste de qualité,
de sa mère, qui savait tout faire.
Rien que cette façon de les décrire tord le ventre, les annule.
Depuis qu'ils sont morts, lui du coeur,
elle, de la longue maladie,
elle ne rencontre rien d'eux. Rien d'entier.
Rien de cette vie vivante qu'elle gaspillait quand ils vivaient.
Alors elle dit :"Mon père, ébéniste, premier ouvrier de France"
comme les turfistes disent : "casaque verte, toque rouge".
Apparemment Antonio s'en contente.
Parfois elle sent monter sa mère, en elle.
Un geste perdu la parcourt, qui la suffoque.
Ou alors son propre nom"Victoire" résonne dans sa poitrine, et c'est,
intérieure,
la voix de son père qui se décroche de la nuit.
Comment partager ces choses?
Pourtant Antonio dit volontier : Echanger nos enfances,
c'est ça, notre amour.
Elle pense : oui, mais celui qui a moins de mots
à l'air d'voir moins d'enfance.